
NIMBES, Fauves éditions, août 2018
Ce jour-là, j’étais en quête d’une sensibilité, qu’elle
soit rare ou fausse, je voulais voir sa face et l’apercevoir
au sens cru de son success story, afin de pouvoir me
rendre compte de ses degrés de performance. Dans une
société en perdition et en proie à des images, j’ai eu
l’idée de m’introduire au milieu d’individus suspects.
Je cherchais à capter le monde en vogue où chacun se
construit une vie au strict sens d’une vie marchande.
[…]
La démarche sereine, je regardais les
publicités et les affiches, celles qui m’accompagnaient
dans mon chemin. Mon regard se trouvait surveillé.
Une domination à laquelle je ne pouvais échapper.
Arrivée à l’arrêt d’un automate qui sortait une
fumée épaisse, j’ai décidé de me rendre à la Maison Vedette.
Il faudrait que je traverse des nuages transparents,
juxtaposés, pour joindre la queue des gens en quête
d’un cadeau express. La Maison Vedette est assurément,
un nouveau concept de la modernité pour avancer à
l’heure du chronomètre, afin d’être rentable et performant.
Nous recevions en échange un don en papier
que seule cette Maison avait vocation d’en procurer.
Tous à la perfection, attendaient le moment
de leur « devenir » ; ils étaient très aimables et tout
souriants, emplis d’ un trait de béatitude qui les rendaient
par essence, des compétitifs. Un papier à la main, tout
est express ici. Une voix-off nous guidait.
— Un billet de train pour une romance express, –
j’entends la voix d’une dame — pour voir Trieste, comme
dans les romans de Svevo et de Joyce […]
Et tout se réalisait comme par une puissance évocatrice,
alors que la réceptionniste, de prénom Grégoria,
prononçait le mot « Meta-vœu ».
Grégoria a les cheveux délavés blonds, et elle porte des bagues dans
tous les doigts de ses mains. Ces bagues ont des
figures d’animaux et d’insectes, une variété qui se déploie
dans ses doigts bougeant de la vitesse d’un feu que
l’on allume. Parfois, je vois onze bagues alors qu’elle
a dix doigts… Un papillon qui brille sur son
bracelet en nickel flamboyant, la rend attrayante au regard
de tous les performants.
Grégoria est une faiseuse de vœux. Ses yeux, d’un bleu
pâle et jaune à la fois, deviennent parfois rouges lorsqu’elle
elle prononce le souhait à haute voix : « Méta-vœu ».
De ses lèvres, sortent des lettres de mots qu’elle prononce,
et tout s’interpose avec le mouvement de ses petits gros
doigts, entre les bagues et les lettres. Les gens
la regardent avec admiration cette faiseuse de compétitivité
qui exauce les demandes les plus chères.
La Maison Vedette est réputée pour sa rentabilité. Dans
ses murs, il y des formes d’insectes fabriqués en or, en
signe de reconnaissance dont je ne comprends le sens.
Je m’approche de Grégoria et ses yeux brillent,
dès le premier regard, quand je lui donne mon papier,
avec mon vœu. Elle le prend dans ses mains, et elle
salit tout à coup la feuille blanche de
taches noire et marron foncé. Je suis étonnée, elle non.
— Non, commence-t-elle à hurler, je n’ai jamais
lu cette demande. Sa voix aiguë semble à un rugissement.
Ses mots sont inarticulés, ses cris deviennent
rauques. Grégoria s’enrage et elle commence à perdre
ses cheveux tout en tremblant, alors que ses yeux deviennent
tout rouges. Furieuse, elle pousse un cri ultime
tel un cri d’un chacal au désert ; elle devient peu à
peu chauve et l’on aperçoit mieux son crâne luisant.
Horrifiée par la scène, je persiste à ce qu’elle prononce
le refrain « Méta-vœu », pour que mon souhait
se réalise. Grégoria rugit de plus belle. Grégoria se met
à baver. Cette lugubre métamorphose lui fait perdre
toute sensibilité humaine et je n’attends qu’à fuir… Ses
membres se rétractent avec fureur, je résiste à cette
scène néanmoins, pour lui faire changer d’avis. Bien
que les déconvenues de ses traits m’effraient, je continue
à la prier de prononcer « Méta-vœu ! »
En ce moment, Les fables d’Esope, me reviennent.
Cette mise en scène des animaux — le loup voulut
dévorer l’agneau et le rat des champs se lia d’amitié avec
le rat de ville — se déploie dans toute sa beauté antique.
J’entendais encore le son aigre de la tortue, lancé comme
un défi. Le renard, comme le juge de la course de la fable
de La Fontaine, ne ressemblait point à ce monstre compétitif auquel je
lui ai enfin prononcé deux mots : « Le devenir animal ».
L’ouvrage de Kafka m’est venu à l’aide par une autre
transformation, cette fois en rendant à Grégoria,
une part d’humanité. « Meta-vœu », a-t-elle balbutié
alors que sa salive visqueuse avait pris la forme d’une
écume qui coulait de sa bouche.
J’ai repris mon automate. Je regardais la flèche indiquant
ma direction, dans le bout de papier. La voix-off,
je ne l’entendais plus. Le brouillard me donna sommeil
et mes paupières devinrent lourdes ; l’automate
commença à me bercer après une telle épreuve.