Impressions sur le roman d’Alain Santacreu Opera Palas, Alexipharmaque, 24 mai 2017
Je viens de terminer la lecture du roman d’Alain Santacreu, Opera Palas.
Au cours de la lecture, je réfléchissais au renversement que l’auteur donne intensément à entendre. Au lieu du renversement. Ce « je » du cœur, après la mort du moi, est un voyage initiatique, philosophique, esthétique qui interroge la perspective romanesque, les liens entre la littérature et l’art.
Julius Wood est le personnage double, celui d’une âme se retrouvant dans un corps étranger, Palas. Ensemble – près de références denses, une mise en abyme du récit – je suis en quête d’un regard dans « le salon cubique », avec Julius jouant aux échecs. Je ressens ce modèle narratif comme un miroir. Je m’y retrouve, silencieuse, mais tout à l’action : je vis cette traversée comme l’arietta – le rythme du phrasé. Et ainsi, je me découvre ; une nouvelle lectrice qui explore la vue de cette quatrième dimension dont parle l’auteur, en soulignant le lien entre le Grand Verre de Marcel Duchamp (La mariée mise à nu par ses célibataires) et la libération romanesque. Comme le reflet de l’énergie solaire, je reçois ce roman comme une projection au-delà de la vue.
Libre de réfléchir, tout en ignorant cette dimension, je me plonge dans ce lieu du roman – théâtre de l’esprit, de l’âme et du corps. Un échiquier m’accompagne. Le blanc et le noir, couleurs qui m’évoquent les cases du jeu d’échec. Une allégorie de l’espace que j’éprouve ; elle m’inspire toutes les possibilités de l’être et d’un processus alchimique où perspectives historique, de l’art, de la littérature, loin de tous les dogmes, me conduisent à la vie réelle. Un tableau d’Uccello, « tournoyante perspective » et une « optique » de Marcel Duchamp, constituent la genèse de ce roman où les couleurs oniriques envahissent la vie.
Lectrice d’Aurélia, je me retrouve dans ces lieux, parfois portant « une mallette verte », assise dans un train, parfois derrière le Grand Verre ; je participe comme les interlocuteurs et pense avec eux. Vivre au réel et se réunir à la fois à la perspective romanesque, constitue une procédure littéraire qui m’invite à ma propre quête de l’identité romanesque. Entre personnages comme Marcel Duchamp, Grotowski, Abellio, Krishnamurti, Artaud, Jean de Cronstadt et bien d’autres, j’apprends sur le roman Gog et Magog de Martin Buber, occupant une partie prépondérante dans un des chapitres.
A l’instar du « slavophilisme espagnol », dans la filiation de Khomiakov, le narrateur raconte « qu’ il se serait réalisé en Espagne durant la guerre de 1936-1939 ». Se référant à une phrase de George Orwell – fil rouge du roman – , « cette guerre marque la fin de l’histoire ».
Opera Palas réussit magnifiquement à extraire le lecteur des ombres manifestes idéologiques.
Le narrateur se trouverait-il dans un train, comme sa lectrice, dans un train de l’Orient-Express, en passe d’écrire-lire « Au Pera Palas », derrière un vitrail ? Un hasard d’un jeu d’échec réunificateur ? « Je me souviens », et l’anaphore accompagne le narrateur sous une « pleine lune de sang », auprès de « murailles de lumière bleuâtre ». « Je me souviens » pareillement des « chansons et des accords lointains », « des prophéties de Bakounine et des prévisions de Marx », « des hautes murailles blanches au bord des pentes de l’Himalaya » ; « j’attends la dernière image pour prononcer le dernier mot », comme le narrateur.
Je suis là, au lieu de l’apparition du roman.
Merci Arta ! Ce que tu écris ici comme ailleurs est tout simplement magnifique !
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