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Méditation sur les usages de l’hypnose dans  la poésie charienne

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René Char (1907-1988), le  poète  résistant, qui participe  à la Seconde  Guerre  Mondiale, sous  le  nom de  “Capitaine Alexandre”, commande  la  section atterrissage  parachutage  de la  zone de  Durance.   Le  recueil Feuillets d’Hypnos,  publié  en 1946,   conçu comme un ensemble  de 237  fragments,  ressemblant  à  des  notes  de maquis notamment le  fragment  célèbre 128, revêt  une  attention toute  particulière. Ce  texte-poème où le narrateur  regarde  derrière  « les  rideaux  jaunis » les actions  d’un SS  dans  un  village, décrit sous  le signe d’un  transfert  symbolique,  présente  un  trait   singulier  de la  narration poétique. La  dynamique  de l’hypnose  adaptée  à un  épisode  de la  guerre  et à la résistance  prend  une couleur  extatique et  nous   conduit dans  un  registre  d’interaction  entre l’emprise et  l’hypnose.

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« Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger ».

Le  poète, observant   le village  « hypnotisé »  nous  interroge  sur  ce  regard  imaginaire et métaphorique  qui  traduit   un paradoxe. L’effet  du retournement  de  l’emprise en une  hypnose  libérée, représente  René Char  sous une autre perspective :  un revirement  de  son « angoisse »  à un  état  extatique  qu’il projette  chez  le  SS. « Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les SS, les paralysant « en toute bonne foi ».

D’une  manière  presque  tacite,  l’idéal  de  la  liberté  survient chez  nous comme  une  esthétique  visuelle.  Cette  mutation  de   Char  communiquant  par  un transfert d’hypnose,  révèle   l’espoir de « la  lumière »,  un concept  présent  dans  l’oeuvre de René Char. Ainsi,  il écrivait que « la poésie est un métier de lumière ». Cet  idéal qui  nous  bouleverse par  sa  forme  et l’ordre  symbolique  du sommeil  recouvrant  le  rêve,   confère  au combat  du poète contre  » la détresse  et  l’absurdité  » de ce monde. Par ailleurs, le poète  se  surnommait Hypnos, l’homme  qui veillait  sur  son peuple.

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« Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice ».

Dans une  fusion   de  « repères  éblouissants »  entre  le  narrateur et  la  « marée », ses   » semblables » interagissent  dans  un  village  idéel et libéré de l’hypnose : l’ennemi est  paralysé.  C’est  ainsi que l’auteur signe  le  prélude  de la  résistance à son paroxysme   à travers  un labyrinthe luminaire  charien.

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***

Fragment 128 des Feuillets d’Hypnos

Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de SS et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve. Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les SS avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les SS, les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.

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